Les cépages autochtones de nos vignobles  

Découvrez comment de plus en plus de vignobles français se réapproprient et redécouvrent leurs cépages, pour certains oubliés, afin de mettre en avant leur spécificité et de mieux répondre au réchauffement climatique.

Alors que la France dénombre plus de 200 cépages autorisés pour l’élaboration de vin, une dizaine d’entre eux accaparent les trois-quarts de la production. Néanmoins, quelques vignobles français cherchent de plus en plus à se recentrer sur les cépages autochtones

Qu’est-ce qu’un cépage autochtone ?

Un cépage autochtone ou endémique (on a parfois dit indigène) est une variété de vigne originaire d’un terroir particulier sur lequel il a prospéré pendant des siècles. On a par exemple découvert à la fin du XXe siècle que la syrah était originaire du nord de la région Rhône-Alpes même si elle a essaimé dans le monde entier, à l’instar du malbec originaire de Cahors même si il s’est rendu célèbre en Argentine.

En misant sur leur identité régionale, ces cépages dans leur région d’origine peuvent susciter une consommation locale militante, en particulier lorsque les consommateurs découvrent que leurs « petits » cépages locaux peuvent aussi produire de grands vins. Mais ils attisent également la curiosité des amateurs, toujours en quête de découvertes à offrir à leurs papilles. 

La Corse pour jouer la carte insulaire

vin corse
© F.Hermine

La Corse a été parmi les premières à renouer avec les cépages insulaires après les grandes plantations de cépages internationaux dans la plaine orientale. La démarche productiviste des années 60-70 a peu à peu cédé du terrain, à grand renfort de programmes d’arrachage, à une viticulture de qualité. La nouvelle génération, à peine sortie des écoles viti-œno sur le continent, reviennent dans l’île de Beauté pour reprendre le domaine familial avec d’autres méthodes plus précises de vinification et d’élevage; elle en a profité pour donner des lettres de noblesse au niellucciu, au sciaccarellu, au vermentinu…

Au début des années 2000, après avoir cartographié les terroirs pour trouver les meilleures adéquations avec la vigne, la filière a commencé à communiquer auprès des consommateurs sur ces cépages identitaires aux noms difficilement prononçables à l’extérieur de l’île. « Le niellucciu et le sciaccarellu ont remplacé progressivement la syrah et le cabernet sauvignon en rouge et rosé, et pour les blancs, le chardonnay a cédé la place au vermentinu qui fait ici des merveilles », raconte Josée Vanucci (Clos Fornelli), présidente du CRVI, le Centre de Recherche Viticole de Corse. La structure créée au milieu des années 80 a pour mission de « réhabiliter ces cépages insulaires dans le cadre d’une production à forte identité mais aussi qualitative et en misant aussi sur des cépages résistants aux maladies ou à la sécheresse » précise la vigneronne.

Après recensements, études de typicité et de rendement, essais de vinification et sélection de souches, une vingtaine de cépages ont émergé. Dans le sillage du niellucciu et du sciaccarellu qui représentent désormais plus de la moitié de l’encépagement de l’île e Beauté, une deuxième famille ampélographique est apparue avec le bianco gentile, le minustellu, le carcaghjolo nero, laleatico, le genovese… Ils sont hélas toujours limités à 10% dans le cahier des charges de l’Appellation d’Origine Contrôlée Corse et certains vignerons des plus talentueux (Abbatucci, Arena, Leccia, Venturi, Canarelli…) ont préféré abandonner l’AOP pour passer en Vin de France afin de pouvoir vinifier ces cépages comme bon leur semblait, à pourcentages plus élevés, voire en monocépages.

Lutter contre le dérèglement climatique dans le Sud-Ouest

vigne classée

Le Sud-Ouest a également été colonisé pendant des décennies par les cépages « bordelais » ou « languedociens ». La région peut pourtant revendiquer plus de 130 cépages autochtones que l’on ne retrouve quasiment nulle part ailleurs. Le tannat à Madiran, Saint-Mont et Irouléguy, le duras, le braucol et le prunelart en rouge, loin de l’oeil, ondenc et mauzac à Gaillac, le fer servadou à Marcillac, la négrette à Fronton, petit manseng et gros manseng en Jurançon et Irouléguy, le malbec à Cahors… Tous tendent à se faire une place sous le soleil de l’Occitanie.

« Ils ont souvent été métissés au fil des siècles mais il est intéressant de retravailler sur ces cépages car aujourd’hui, certains peuvent répondre à la nouvelle problématique du dérèglement climatique en étant plus tardif, plus résistant à la sécheresse », explique Paul Fabre, directeur des Vins du Sud-Ouest.

Des pionniers tel Bernard Plageoles qui a replanté plus d’une vingtaine d’hectares en cépages oubliés, les Riouspeyrous (Domaine Arretxea) qui veillent sur une collection de tannat, ou des démarches plus collectives comme celle de l’union coopérative de Plaimont ont permis de retrouver et de préserver des cépages d’avant phylloxera, la vilaine petite bête qui a ravagé le vignoble français à la fin du XIXe. La parcelle conservatoire de Plaimont à Sarragachies (Gers) est même la première vigne classée Monument historique.

Faire redécouvrir les vins locaux en Savoie et Jura

Si la Savoie s’est longtemps contenté de poser sur la table une jacquère d’Apremont pour accompagner la raclette ou la fondue, elle renoue également avec des raretés comme le persan ou la douce noire en rouge, le gringet, le verdesse ou la molette en blanc. « Le mot Savoie sur une bouteille a longtemps suffi pour vendre, notamment en stations de ski , et il s’agissait souvent de vins médiocres, reconnait volontiers Laurent Cavaillé, président des Vins de Savoie. Aujourd’hui nous pouvons prouver que nous élaborons de grands vins, en particulier en blancs qui représentent 70 % de notre production. Les cépages rares enrichissent la palette et peuvent susciter un nouvel attrait ».

Le Jura se bat également pour faire découvrir ses cépages spécifiques. Aux côtés du chardonnay et du pinot noir mondialement connus et communs à la Bourgogne voisine, on trouve le savagnin célèbre auprès des amateurs de vins jaunes (qui pèsent moins de 5% de la production), le poulsard et le trousseau, des rouges légers et friands au profil si singulier, ou le rarissime chardonnay melon à queue rouge qui donne des vins puissants et complexes. « Le Jura a des vins uniques que nous devons faire connaître d’abord chez nous puisque les trois quarts de la production sont vendus localement » précise Olivier Badoureaux, directeur des Vins du Jura.

Un apport de fraîcheur en Champagne, Bourgogne et Provence

Les grands vignobles que sont la Champagne, la Bourgogne ou la Provence tentent également la diversification. On oublie souvent qu’en terre champenoise, aux côtés des pinots noir et meunier et du chardonnay (accaparant environ 98 % du vignoble) sont également inscrits au cahier des charges les plus rares arbane et petit meslier pouvant apporter de la vivacité aux bulles champenoises.

La Provence se tourne de plus en plus au tibouren, cépage délicat cantonné au littoral varois où il reste confidentiel. Mais dans l’assemblage des rosés ou des rouges, il apporte du bouquet et une finesse d’arômes comme dans le célèbre Clos Cibonne.

Quant à la Bourgogne, elle tend à réhabiliter son aligoté à la si mauvaise réputation. Noyé dans la crème de cassis, il a pourtant contribué aux heures de gloire du kir à partir des années 50. Depuis qu’un certain Aubert de Vilaine, l’ancien patron de La Romanée Conti, en a fait un joli vin en son domaine, d’autres vignerons ont entrepris de replanter ce cépage aux grandes capacité d’adaptation et qui apporte fraîcheur et gourmandise quand il est bien travaillé.

Car il ne s’agit pas seulement d’élargir la palette des possibles mais de jouer la carte locale que semble priser de plus en plus le consommateur. Et quand le talent du vigneron et de l’œnologue s’en mêle, autant diversifier le jeu.

Frédérique Hermine

Top 10 des cépages les plus plantés en France

cepages

Merlot
Ugni blanc (Cognac)
Grenache
Chardonnay
Cabernet sauvignon
Cabernet franc
Carignan noir
Pinot noir
Sauvignon blanc

Frédérique Hermine.