Le flot des no-low

Le dry-january est l’occasion de faire le point sur la tendance des boissons no-low à la définition encore évolutive. D’abord lancée dans le monde de la bière, elle gagne les vins et surtout les spiritueux.

Par Frédérique Hermine

« Dry January » sans modération

Dry January
©Dry January

Dans un contexte de déconsommation croissante de vins en France (nous sommes passés de 128 l. de vin par habitant et par an en 1960 à moins de 40 l. aujourdhui) est apparue une nouvelle catégorie de boissons : les no-low (ou nolo pour les intimes). On n’en a jamais autant entendu parler qu’en ce mois de « dry january », (traduire par janvier « sec » ou « sobre »), invitant chacun à un mois d’abstinence de boissons alcoolisées. Le phénomène gagne incontestablement en popularité dans l’Hexagone. « Qu’importe le flacon pourvu qu’on est l’ivresse » d’Alfred de Musset fait de moins en moins d’adeptes. Un sondage Ifop de décembre dernier estimait à un tiers, la proportion de Français qui envisageait d’y participer. Selon une enquête CGA/Nielsen, 52 % prévoit en général de boire moins d’alcool. Ce concept anglo-saxons de « dry january » né en 2013 au Royaume-Uni a débarqué en France avec une première campagne en 2020. Si la greffe a eu du mal à prendre au démarrage, elle a rencontré cette année une ampleur insoupçonnée. Elle dispose même d’un site dédié portée par un collectif d’une quarantaine d’associations vantant les mérites de la démarche. Mais le « dry january » semble aussi s’étendre plus largement sur l’année.

Définitions à variations

gamme d'alcools no-low
©DR

Dans ce contexte se sont subitement développés les no-low. Mais quésako? Le terme désigne à la fois les boissons sans alcool (no) et celles faiblement alcoolisées (low). Selon une enquête de SoWine/Dynata réalisée en décembre 2022, les jeunes de 18-25 ans représenteraient 44% des consommateurs de ces no-low. En France est considéré comme un sans alcool une bière de moins de 1,2% et un vin ne dépassant pas 0,5%. Le cadre réglementaire européen prévoit également qu’un vin ne peut être désalcoolisé de plus de 2 % vol. de son degré initial. A ce jour, aucun vin sans alcool ne peut être en appellation; il doit obligatoirement être présenté en Vin de France. Alors que pendant longtemps, un produit en-dessous de 8,5 % vol ne pouvait même pas porter la dénomination Vin, la règlementation autorise depuis 2022 les vins en partie désalcoolisés entre 0,5% et 8,5% à s’appeler Vin. En revanche, les produits sans fermentation alcoolique du raisin ne peuvent normalement s’appeler vin, l’alcool étant inhérent au produit. Même ambiguïté pour les spiritueux qui règlementairement ne sont pas considérés comme tels à moins de 18 % mais une étiquette portant la dénomination « gin sans alcool » ou « free alcool spirit » est quand-même plus compréhensible pour les consommateurs.

Différents process de désalcoolisation des vins

la désalcoolisation des vins
©DR

Si la technique pour les spiritueux consiste à distiller les botaniques sans base alcool, les procédés pour le vin sont plus divers et encore en expérimentation. Ils consistent à désalcooliser un vin par une distillation ou évaporation sous vide à basse pression ou par filtration, ou à utiliser un moût de raisin avant fermentation. Si la bière avait pris quelques longueurs d’avance, les vins tentent également une percée.

La tendance profite dabord aux produits déjà présents sur le marché comme Festillant, la marque d’effervescent sans alcool de Freixenet-Gratien ou la Maison Chavin dans lHérault qui a créé en 2010 une gamme de vins 0% dalcool en tranquilles, mousseux et effervescent en différents formats (75 cl, 20 cl, BIB de 3 L.).Les Pugibet du Domaine La Colombette également en Languedoc ont été les pionniers du vin en partie désalcoolisé avec la gamme Plume à 9% en 2005 notamment à partir d’une technique d’osmose inverse. Ils élaborent aujourd’hui en 0% vol les Born to be Free en cabernet (rouge) et chardonnay (blanc), Baron de Chanteclerc en grenache effervescent rosé. Depuis trois ans, la nouvelle marque Moderato avec des vins d’abord à 5 % d’alcool puis complètement désalcoolisés travaille à partir de raisins principalement de Gascogne au départ avec une forte aromatique, un bel équilibre sucrosité-acidité sans trop de degrés. Une collaboration avec le groupe coopératif Vivadour va déboucher en 2024 sur la construction dans le Gers d’un chai dédié à la désalcoolisation, ce qui permettra de créer une filière française car jusqu’à présent, les jus devaient être envoyés en Espagne pour être désalcoolisés. En attendant, les initiatives se multiplient. La société Gueule de Joie dispose d’une gamme complète de vins dans les trois couleurs, tranquilles et effervescents (pas moins d’une cinquantaine de références), de cocktails et spiritueux sans alcool, Le Petit Béret dans l’Hérault propose une gamme sans alcool élaborés avant fermentation (une quinzaine de références de vins et spiritueux) et en prime, bios et vegans. Le champagne Frèrejean-Taittinger vient de sortir French Bloom, un chardonnay blanc de blancs bio et millésimé sans alcool. Le château Clos de Boüard en Montagne Saint-Émilion a élaboré un merlot-cabernet franc-cabernet sauvignon Prince Oscar sans alcool, la désalcoolisation s’effectuant à froid sous vide. Uby l’une des marques phares de Côtes-de-Gascogne a élaboré un rosé et un sauvignon désalcoolisé, la cave de Ribeauvillé a sorti un Rib’O à moins de 0,5% en muscat-sylvaner.

Un flot de nouveaux spiritueux

cocktail sans alcool
©Pernod Ricard

Le no-low ne se limite pas à la bière ni au vin. C’est même dans les spiritueux que la tendance progresse le plus. La catégorie n’en est certes qu’au démarrage mais elle s’est révélée depuis 3-4 ans très dynamiques (+ 17 % en 2022 en France). Tous les principaux opérateurs de spiritueux ont sorti un produit no-low (les « gins » Jnpr, Ceder’s, Seedlip, Tanqueray alcool free, Atopia, Siegfried mais aussi le Martini 0, Suze Tonic 0, Mélonade et Nectarine chez Routin… ). Les botaniques compensent le manque d’alcool notamment pour les gins. Dans leur sillage apparaît la vague des « mocktails » ou « virgin cocktails », versions sans alcool des cocktails. Selon l’étude CGA/Nielsen IQ, 41% des personnes interrogées en boivent. On voit apparaître des cavistes, sites et bars dédiés : Le Paon Qui Boit, Xavier Alcool sans Alcool, L’Alchimiste, Olivier Martinez, La Cave Parallèle, House Garden. Mais la définition du no-low est encore mouvante pour les cocktails, entre le sans-alcool, et des faiblement dosés en alcool qui ne dépassent pas 25% vol. (Liqueurs de fruits, champagne, vermouth). Dans ce cas, la proportion est fortement réduite pour garder la structure de l’alcool de base et juste abaisser le degré alcoolique global. Cette offre outre le fait d’être moins calorique répond aussi plus facilement aux propositions de pairing sans fatiguer le palais.

Surtout des « flexiconsommateurs »

gamme de spiritueux non-alcoolisés
©Drinks & Co

En 2022, le marché mondial des no-low a franchi la barre des 11 milliards de dollars de chiffre d’affaires contre 8 milliards quatre ans plus tôt selon l’institut britannique IWSR qui prévoit une augmentation de 7% d’ici 2026. En France, les ventes de boissons sans alcool ont augmenté de 5,5% en volume en un an entre avril 2022 et avril 2023. Mais leurs consommateurs ne sont pas forcément abstinents puisque près de 80% d’entre eux boivent également de l’alcool. Cela correspond à une sobriété ponctuelle (défi du dry january, femmes enceintes, souci de santé, prise de médicaments..) ou plus ancrée, notamment pour des motifs religieux, ou des raisons économiques (les cocktails par exemple étant en général moins chers que leurs équivalents alcoolisés). L’engouement pour ces no-low est surtout une façon de diminuer sa consommation globale d’alcool. On revient à l’effet Canada Dry des années 80 : « Ça a la couleur de l’alcool, le goût de l’alcool… mais ce n’est pas de l’alcool ». Les études démontrent d’ailleurs que plus des trois quarts des consommateurs de no-low boivent également de l’alcool (étude IWSR 2022).