Bacchus à Bamako avec l'École du Vin : une histoire inspirante.

Interview avec Sonia Guillotin Keita, caviste à Bamako, diplômée EVS niveau 2.

Qu’est-ce qui vous a amené à travailler dans le vin et particulièrement à Bamako ?

Je suis arrivée à Bamako il y a 20 ans, fin août 1999 exactement, dans le cadre d’un contrat de six ans dans l’enseignement. Pour la petite histoire, à l’âge de 20 ans, alors que j’étudiais à l’école normale, je me suis promise de ne pas enseigner toute ma vie et me suis imposée une date butoir, l’anniversaire de mes 40 ans. Cela m’a permis de faire ce travail d’enseignement avec passion car je le savais limité dans le temps.

J’ai rencontré mon mari à Bamako, monsieur Seyba KEÏTA qui a ouvert un bar en 2000. C’est un bar qui a démarré sur les chapeaux de roues. Mon mari a appris le métier de barman à Barcelone. Il est arrivé avec un concept tout nouveau pour Bamako, celui de la Movida. Son bar était l’endroit le plus fréquenté de la ville et, croyez-moi, il a marqué les esprits des bamakois : les artistes, les hommes et femmes d’affaires, banquiers, militaires, commerçants, expatriés, touristes, etc., tout le monde état là dès 18H00.

La rue a été rebaptisée du nom du bar : la rue du BLABLA.
Approché pendant cette belle époque par une grande enseigne française spécialisée dans la bière et qui cherchait à lancer leurs vins, mon mari me propose de m’en occuper. Je suis d’accord d’autant que je passe déjà plusieurs heures par jour à faire les achats d’alcool pour le BLABLA.

Seyba KEÏTA, qui ne fait pas les choses à moitié, a ouvert une belle cave à vins à côté du bar et nos fournisseurs nous ont envoyé un stock de 300 bouteilles de vins pour démarrer… dont les 3/4 étaient invendables car bouchonnés ou d’un millésime trop ancien (Les employés de la firme s’étaient débarrassés de leur stock d’invendus !) et des marges dérisoires.

Du coup, et par la force des choses car nous avions pas mal investi matériellement dans la logistique de cette cave, je me suis lancée. Je suis allée au salon des vins de Loire à Angers en février 2008 où j’ai rencontré mon premier fournisseur avec qui je travaille toujours aujourd’hui.

Je remercie donc la grande enseigne car sans elle, je n’aurai probablement pas été jusqu’au bout de cette aventure. Je remercie également ma banquière à Paris qui n’aimait pas du tout l’idée et m’a suggéré d’ouvrir une école. Elle m’a appris l’adversité.

Enfin, le commerce de vins est certes une niche dans un pays musulman à plus de 90% mais cela ne signifie pas qu’il n’y ait pas de consommateurs. Au contraire ! Depuis que les nations unies sont installées à Bamako, nous avons des nationalités de tous les continents.

Les chinois, clients dépensiers, sont très nombreux et très amateurs de vins. Ils sont dans tous les circuits d’affaires, des mines d’or, au BTP, la médecine, l’agriculture, l’hôtellerie, les commerces, en fait ils sont partout… Ils adorent consommer du vin et offrir de belles bouteilles quand ils rentrent en Chine une à deux fois par an.

Les maliens qui ont fait leurs études en France, à Lyon, Bordeaux,… en connaissent un sacré rayon et sont très amateurs de bon vin ; ils savent qu’un bon vin servi à la bonne température peut être le petit plus qui fera signer le contrat d’affaires.

Quels services proposez-vous à vos clients et qu’est-ce que vous aimez le plus dans ce métier ?

Je ne vends pas que du vin, je vends 75 cl de concentré de terroir, de savoir-faire, de culture, de gastronomie. Je vends aussi de la qualité pour toutes les bourses, je vends l’assurance de ne pas anémier un diner avec des bouteilles bouchonnées. Je suis complice des fêtes et j’oriente les clients car très souvent je sais (mais je ne leur dis pas) ce qu’ils vont manger ou je connais les goûts de leurs hôtes.

Je conseille également les restaurants pour le choix de leur carte, j’interviens auprès des élèves à l’école de restauration, je réfléchis aux accords vin-mets pour les dîners mondains et moins mondains. J’ai une cliente qui ne boit pas de vins mais qui reçoit régulièrement des diplomates. Au début, elle me commandait des vins les plus chers de la cave, jetaient le contenu des bouteilles à moitié plein dans l’évier et s’étonnait que les personnes ne finissent pas la bouteille et ne manifestent pas autant de contentement vu le prix qu’elle avait mis. Maintenant, elle ne fonctionne plus de tout de la même façon. Elle m’envoie les menus quelques jours avant et revient vers moi le jour après pour me remercier de la réussite du repas.

On livre beaucoup aussi car Bamako est une ville où on circule difficilement à cause des embouteillages et parfois aussi, il y a des alertes sécurité qui invitent, sauf cas de force majeure, les expatriés à ne pas mettre le nez dehors. Heureusement, j’ai quelques clients qui pensent que l’achat de vin est un cas de force majeure ! Pour les autres, on livre à domicile.

J’ai aussi des clients musulmans qui ne peuvent pas boire de vin à la maison à cause de la pression sociale. Alors, on met le vin dans des bouteilles d’eau (en plastique) et ils partent avec en brousse où tout le monde les laisse tranquilles, la nature ayant la gentillesse de ne pas cafter.

J’ai un commerçant du marché, qui, probablement quand il fait une très grosse affaire, s’offre une belle bouteille de Lafitte Rothschild. Je ne l’ai jamais vu. Il envoie un gamin du marché en Jakarta (moto).

Enfin, je m’exprime sur les vins et Bamako en faisant des suggestions pour aiguiser les papilles dans ma page Facebook et tous les samedis, j’ouvre une bouteille pour la déguster avec les clients qui se déplacent.

Je ne suis pas une commerçante née, je ne peux pas vendre pour vendre. Le vin me rattache aux terroirs dont je suis si loin parfois. J’ai plaisir à parler de mes bouteilles et à donner envie de les acheter. J’aime faire plaisir et j’apprécie quand mes clients repartent de la cave avec le sourire aux lèvres, heureux de leurs achats.

Quelle est la spécificité du marché des vins et des spiritueux au Mali ? Quelle est l’image des vins et spiritueux français ?

Le circuit de la vente du vin au Mali est complexe. On trouve les vins de la grande enseigne française en Afrique dont je parlais plus haut. Ce sont des vins de grande distribution entrée de gamme pour la plupart. On trouve également du vin dans les commerces libanais, dans les magasins des stations services T... Le vin n’est pas bien conservé et il n’est pas rare que le rosé ait une couleur de rouille et le sauvignon blanc une étonnante couleur de vin jaune.

Les vins s’abiment vite ici, j’habite un des pays les plus chauds de la planète, avec des températures qui peuvent monter jusqu’à 50 degrés en saison sèche avec très peu d’humidité, puis atteindre des taux d’humidité avoisinant le 90% en saison des pluies. Ca fait travailler les bouchons et le client bamakois fait une allergie mentale aux bouteilles avec fermeture à vis.

Il y a aussi des vins qui circulent par le duty free situé dans le quartier ACI de Bamako. Tout le monde y a accès, les restaurateurs ! C’est un fléau pour ceux qui payent les taxes douanières très élevées.

Ma chance, c’est que ce n’est pas dans la culture des vendeurs de parler du vin. Pour l’anecdote, par exemple, vous trouverez du beaujolais nouveau, le jour « J » … mais de l’année dernière… Moi, c’est ce que je mets en avant, la culture de la gastronomie à la française et ça marche. Et je mets aussi en avant la traçabilité de mes vins. Je vais les choisir dans les domaines, dans les coopératives, sur les salons et je m’occupe du transport des domaines à la porte de la cave. Je transporte les vins en container avec températures dirigées. Ainsi je garantis des vins en très bonne santé. Ils n’ont pas vieilli prématurément dans des containers dry en surchauffe. Quand ils arrivent, je laisse les vins se reposer un mois, voir plus, car les agitations sur le bateau et sur les trépidations la piste entre Dakar à Bamako « crispent » les vins. J’ai déjà fait l’expérience de les ouvrir à l’arrivée, c’est déconcertant, c’est comme si le vin boudait. Il est fermé, inexpressif, mécontent !!!

La France, sa gastronomie et ses vins bénéficient d’une très belle notoriété au Mali. Je vends principalement des vins de France et plus récemment des vins de toute la France, même du Jura. Il n’y a pas si longtemps, demander « un bordeaux » ou « un vin » était synonyme... C’est fini ce temps-là.

Qu’est-ce qui vous a motivé à suivre une formation en vins et spiritueux français et pourquoi avez-vous choisi l’École du Vin ?

J’ai choisi l’école du vin sur les recommandations d’un de mes fournisseurs en vins et champagnes, Nicolas Chemineau qui connait l’école et son directeur Olivier Thiénot depuis très longtemps. Je lui expliquais que je voulais mettre de l’ordre dans mes connaissances acquises sur « le tas » et son lot d’informations approximatives. J’avais besoin aussi de connaître les nouvelles tendances, asseoir les acquis et mettre en place une méthodologie pour déguster le vin. Cette semaine de formation a été très dynamisante pour moi. Cela m’a donné de l’assurance. J’avais un peu de crainte car ça fait très longtemps que je ne suis pas retournée sur les bancs de l’école mais j’ai vite été rassurée. Tout le monde était là par passion, le contenu du cours très étoffé et les échanges très intéressants. Je vais me programmer une autre formation pour l’année prochaine.

Quels sont vos futurs projets dans le domaine des vins et spiritueux ?

Si la situation politique économique et sociale le permet, je souhaite agrandir la cave et son concept. Je voudrais ajouter la bière artisanale et les spiritueux. Pourquoi ne pas également ouvrir des petits BACCHUS dans la ville ou alors dans la sous-région. Et si je dois quitter le Mali, trouver une nouvelle terre d’accueil ou retourner en Europe.